le misanthrope

Paris, May 2007

« Il y a une pensée dans cette mise en scène de Lukas Hemleb: le Misanthrope comme pièce sur la contrainte sociale et les rapports de force qui conduisent les individus. Et ça marche. Alceste n’est plus un atrabilaire en autodestruction, ni un tenant rousseauiste de la vérité en attente de révolution. Lukas Hemleb en a fait un amoureux sans perruque, aux prises avec le monde réel, la sueur et les larmes des épreuves infligées par l’amante et la société, le chagrin qui agrippe ceux qui refusent.
Tout le monde est d’ailleurs aux prises avec le réel dans cette comédie, Célimène comme Alceste. Elle surtout: la scène des portraits n’est pas l’amusement d’une coquette, c’est une épreuve de cour, de dressage, un examen d’accès à “la commune voix”. Il va falloir y faire preuve d’esprit, devant deux marquis en apparence ridicules mais qui frayent avec le pouvoir absolu, en donnent des nouvelles et lui font sans doute rapport. À la belle Marie-Sophie Ferdane, Hemleb fait jouer tout le début de cette scène des portraits en affolement devant les défis que lancent Clitandre et Abaste. Corps en émoi, elle cherche ses mots, sa respiration, ses traits comme on chercherait à survivre. (…) Cela se passe dans un décor léger, où les cloisons sont des voilages, des élancements de transparence en gris-bleu, avec au sol à peine deux tabourets. Un espace fait pour la rencontre, le plaisir et le goût, qui ferait presque oublier qu’ici le plaisir et le goût sont des formes de lutte pour la vie. Ce n ‘est qu’au fur et à mesure de ses trouvailles de cruauté que Célimène se détend, cesse de paniquer de long en large, déploie ses phrases et retrouve rythme et gaieté, la gaieté de Molière au bord des gouffres de Saint-Simon. Le tout dans une invention d’accents qui ne sacrifie jamais l’alexandrin à la vivacité des paroles.
Célimène connaît la part sombre de ses marquis, celle que Lukas Hemleb met à jour un peu plus tard, à la première scène de l’acte III. Chacun des deux prétendants accepte certes à la fin de cette scène de s’incliner à l’amiable si l’autre apporte une “marque certaine / d’avoir meilleure part au cœur de Célimène”, mais ce n’est qu’après en avoir débattu entre eux l’épée à la main, en violence et à tous risques. Façon de nous faire sentir que le fameux processus de curialisation des guerriers mis en évidence par Elias est encore bien fragile dans cette cour, et que le partage des femmes peut toujours réveiller le fauve.
Quelque chose d’animal, de vulgairement physique n’en finit d’ailleurs pas de régner dans cette antichambre, et transparaît dans certains gestes qu’on a reprochés au metteur en scène: tel baiser de padrino donné à pleines lèvres, d’Orgon à Alceste, telle main d’Arsinoé s’enfonçant un peu loin sous les jupes de Célimène, tel emballement encore d’Orgon, rondouillard et barbu, serrant sa proie dans des postures à la Falstaff. Peu importe, du moment que le propos est cohérent, qu’il nous rappelle que le comique a plus à faire avec le corps et la farce qu’avec la distinction, et cela nous vaut aussi ce moment royal: Arsinoé (Clotilde de Bayer) éprouvant, dans les bras d’Alceste qui n’en peut mais, une puissance de proximité, un de ces orgasmes à blanc que certaines désirantes savent parfois se procurer, entre mime, frottement et sensation, contrôle de soi et désordre de sens. Par quoi la mise en scène nous rappelle que ceux qui n’aiment pas le paroxysme ont peu de chose à voir au théâtre.
À ce jeu-là, le couple Philinte-Éliante, la chaste et le raisonneur de la tradition théâtrale, risquait de paraître bien terne ou parfaitement hypocrite. L’art de Lukas Hemleb, Eric Génovèse et Elsa Lepoivre en a fait l’instance où vient en permanence se reconstruire un peu d’humanité, avec ce qu’il faut de durée, de désir et d’empathie, car Philinte aime Alceste et souffre pour lui, et Éliante n’a pas trop de cinq actes pour cesser de “s’embarrasser” de tendresse pour un misanthrope. C’est l’un des aspects les plus intéressants de cette mise en scène, que d’avoir, tout en mettant l’accent sur la violence structurante des rapports de force, gardé intacte une volonté d’être ensemble qui pourrait ne plus rien leur devoir. »
Hédi Kaddour, Nouvelle Revue Française

« C’est paradoxalement par une lenteur extrême de la mise en scène, de la diction, que Lukas Hemleb parvient à nous faire pénétrer ce maelström. Au milieu de voiles transparents et labyrinthiques – censés figurer une architecture où tous s’espionnent –, les personnages se débattent. Il y a du défunt maître Antoine Vitez dans ce spectacle où les corps implosent, s’exposent et s’offrent. »
Télérama

« Ce que demande le metteur en scène aux comédiens est risqué. On devine bien, dans la salle, les résistances. Trop habitué que l’on est à nier la vie qui palpite et déchire les protagonistes, on se contenterait de sage hiératisme et il faut admettre les cris, les soupirs, les humeurs, les corps qui ploient, se tordent, les mains qui se tendent, les chutes. Si l’on accepte les principes de cette vision du Misanthrope on est frappé par l’exactitude de la distribution, la fermeté de la direction d’acteurs, l’audace du mouvement général. L’intelligence de la lecture. Car rien ici ne contredit ce qu’écrit Molière. »
Le Figaro

« S’attachant à faire sauter ce qu ‘en peinture on nomme les vernis, Lukas Hemleb travaille sur le texte comme il userait d’un scalpel pour en gratter la matière, aller à l’essence des couleurs, en isoler les pigments. Ainsi son Misanthrope trouve l’accord d’une singulière représentation qu’on pourrait rapprocher de celles des œuvres de Francis Bacon dont on sait le metteur en scène très épris. Et l’hommage à Molière, servi par cette troupe exemplaire, accède dans sa maison à une vision tourmentée qui sans équivoque se révèle du grand art. »
Les Inrockuptibles

« Tout cela, et le texte et les problématiques humaines, est restitué à merveille par la troupe de la Comédie Française et la mise en scène de Lukas Hemleb. Décors extrêmement sobres et glacials : de hauts pans de murs blancs, transparents, sur lesquels sont peints d’imaginaires panneaux de bois, à la mode du temps de Molière. Costumes d’époque. Effets de transparence, qui nous laissent deviner les silhouettes derrière les murs. La symbolique est intéressante : dans une telle société, pas d’intimité ; tout se voit, tout se sait ; personne ne peut vraiment se cacher et, surtout, cacher sa vie, ses affaires à autrui. D’où l’absence d’autres éléments de décor qui viendraient permettre aux protagonistes de s’isoler. Dans cette promiscuité, le jeu des comédiens se fait subtil et serré, au sens physique du terme : ils jouent les uns avec les autres, les uns contre les autres. Tous leurs gestes sont millimétrés, à l’instar du combat à l’épée de Clitandre et Acaste, les deux marquis. On ne peut que constater la maîtrise de la mise en scène. Le Misanthrope retrouve ainsi toute sa verve et tout son piquant, près de quatre siècles après sa
création.
 »
La Théâtrothèque

Molières “Menschenfeind” ist an der Comédie Française, wo er 1680 ins Repertoire einging, gerade zum 2261. Mal gespielt worden. Alceste entläuft diesmal am Schluss nicht durch Kulissen, Bühnenhimmel oder Bodenlöcher in seine Wüste des aufrechten Einsam- und Selbstseins. Er irrt herum hinter halbtransparenten Stoffwänden – und hinter tausend Wänden keine heile Welt. Regie führt der Deutsche Lukas Hemleb. Die Neuinszenierung – die letzte vom ehemaligen Intendanten Jean-Pierre Miquel war erst sieben Jahre alt – ist ein Wunderding der Figurenzeichnung und dürfte etwas länger halten. Nicht ausgesottene Heuchler, Verführer, Schönredner, Menschenhasser prallen da im höfischen Vorhangkäfig aufeinander, sondern unfertige Wesen, die bei keinem Satz wissen, wie sie zum nächsten kommen, und die ihre Verse bald herauswürgen, bald daherraspeln oder hastig verschlucken. So entsteht ein wunderlicher Flohzirkus im Niemandsland gesellschaftlicher und familiärer Bindungslosigkeit, wo die kühnsten Sprünge oft die kleinsten sind. (…) Die ganze Aufführung tendiert so bei aller Wildheit der körperlichen Überreaktionen, wo selbst die scheinbar prüde Arsinoë im Gespräch mit Alceste auch schon mal lustvoll zu stöhnen beginnt, in Momenten langen Schweigens zu einem drückenden Ernst, bei dem man sich manchmal bange fragt, ob der Molière das aushält. Er hält es aus und lacht heller.
Frankfurter Allgemeine Zeitung

Frankfurter Allgemeine Zeitung

 

 

Molière
« Le Misanthrope »
director: Lukas Hemleb
stage designer: Jane Joyet
costume designer: Alice Laloy
light designer: Xavier Baron
Comédie-Française