titus andronicus

Bourges, Paris, October 2003

« Etrange destinée, parfois, étrange navigation dans le temps que celle des œuvres : aujourd’hui, La Lamentable Tragédie de Titus Andronicus, dans cette nouvelle mise en scène de Lukas Hemleb belle comme un opéra baroque, comme un mystère du Moyen Age, comme une tragédie antique et comme un tableau de la Renaissance, dans cette nouvelle traduction d’André Markowicz qui va fouiller au cœur de son étrange noirceur, Titus, donc, apparaît soudain comme une des grandes pièces de Shakespeare, une des plus complexes, une des plus âpres, une des plus violemment lucides sur la violence et le pouvoir, sur la violence du pouvoir. Mais aussi comme une des plus magnifiquement “compassionnelles”, offrant au spectateur une chose devenue, dans les temps modernes, extrêmement rare au théâtre : quelque chose comme le partage de la douleur face à l’incompréhensible et à l’indicible du Mal. Quelque chose d’une immense douceur et d’une pleine humanité. Beauté rendue à la douleur. Avec une grande intelligence, Lukas Hemleb et André Markowicz ont, de toute évidence, voulu interroger ce qui, dans le passage de l’Antiquité au Moyen Age, puis du Moyen Age à la Renaissance, faisait sens et signe dans le long processus de civilisation qui allait se fracasser au XXème siècle sur la version la plus sophistiquée de la barbarie. Cette interrogation, complexe, est sensible de manière très accessible dans ce Titus qui joue des niveaux temporels et des niveaux de représentation. (…) Mise en scène à la fois visuelle et musicale, hiératique et fluide, qui touche le cœur et les tripes autant que la tête. Depuis quand n’avait-on pas pleuré au théâtre ? Et on pleure, devant cette jeune fille aux mains coupées, accroupie, immobile, image de douleur muette dans sa longue chemise blanche tachée de sang – Julie Recoing, belle comme un Giotto ou un Botticelli. Jeu sur les gris et les beiges, sur les “postures” à l’antique que l’on croirait sorties de tableaux de Mantegna, dans lequel vient tout à coup éclater, comme une goutte de sang dans l’œil, une tache de rouge. Costumes à l’antique, non cousus, drapés, qui induisent une gestuelle contrôlée. Décor de bois qui se recompose sans cesse, à la fois figuratif et abstrait, marches vers le pouvoir d’abord, profonde forêt où viendra s’exprimer la sauvagerie, espace mental qui accueillera les larmes et la solitude de Titus. Utilisation magistrale de la musique – Beethoven, donc, mais aussi le “renaissant” John Bennet et le contemporain Luigi Nono -, et direction musicale des voix des comédiens, accordées comme des instruments. Langue de Markowicz – oui, de Markowicz, car sa traduction, en décasyllabes abrupts, rocailleux, est une recréation poétique : tout concourt à faire de ce Titus une grande cérémonie théâtrale. Et il y a les comédiens, tous les comédiens, Grégoire Oestermann, magnifique en Marcus, le tribun du peuple frère de Titus, seul personnage chez qui toute humanité n’ait pas été saccagée, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, extraordinaire en Aaron, mauvais génie de Tamora, et qui est la grâce et la séduction du mal, le mal absolu. Jérôme Derre (Lucius), Pascal Bongard, Anne Alvaro, dans la jouissance du mal. Et Roland Bertin. Le grand Roland Bertin, que l’on avait tant de peine, lors de ses dernières années de Comédie-Française, à voir si mal employé, au plus facile de lui-même, trouve là, à 73 ans, un rôle à son immense mesure, à ses immenses capacités de douleur et d’humour. Roland Bertin, c’est un Rhinocéros enfermé dans ses épaisses croûtes de peau grises, c’est Rome tout entière à ses proies attachée. Bertin, c’est un monstre, celui qu’il fallait pour incarner cette douleur-monstre. Il y a, surtout, dans ce Titus, cette solitude, ce chemin inexorable qui avance au cœur du sadisme de l’homme : le ciel est vide, les dieux sont morts, ou muets, ou sourds, et la seule grandeur, ou beauté, de la condition humaine est, peut-être, cette perpétuelle tentative pour déchiffrer l’énigme du mal, pour rendre visible et lisible l’indicible de la souffrance. »
Le Monde

« De toutes les pièces de Shakespeare, “La Lamentable Tragédie de Titus Andronicus” est sans doute la plus difficile à représenter. La cruauté – au sens propre, le sang qui coule s’y joue de totes les figures possibles. On ne se défend de tels excès que dans le rire. Ici, et c’est la puissance même de la mise en scène de Lukas Hemleb, rien ne paraît exagéré au spectateur, à aucun moment il ne pense “grand-guignol”. Et si le rire survient, c’est celui des protagonistes au moment le plus sanglant qui réunit Titus et les siens! Un coup de force d’une audace extrême de la part du metteur en scène et qui s’inscrit naturellement dans le tissu d’une représentation à la fois très tenue et très surprenante. Il a du culot, Hemleb. (…) »
Le Figaro

« On dirait que le théâtre public a bouffé du lion. Trois spectacles, entre autres, en cette rentrée de janvier, en témoignent à l’envi. Lukas Hemleb frappe un grand coup avec Titus Andronicus, de Shakespeare, présenté dans la traduction rugueuse d’André Markowicz. Dans un décor non moins rugueux de planches transformables en degrés, forteresse assiégée, forêt pétrifiée, cène pour festin cannibale, il découpe chaque séquence avec la précision du boucher qui a suivi de longues études. L’ouvre, truffée de sanglantes péripéties inimaginables, pourtant imaginées, mises en images, ne perd jamais ici sa force symbolique au profit d’une bête surenchère de type ” gore “, quand bien même chaque épisode d’horreur est crûment désigné. (…) Cette pièce primitive, à l’origine du corpus gigantesque édifié par Shakespeare, Hemleb la prend avec respect, au pied de la lettre, d’où l’effroi qu’elle suscite dans une représentation où chacun – Roland Bertin (Titus Andronicus), figure d’ogre empêtré dans le devoir ; Pascal Bongard (Saturninus, l’empereur mû par la volonté de pouvoir) ; Anne Alvaro (la reine Tamora), aux glapissements de louve, pour ne dire que ceux-là – se porte à l’excès de lui-même, non sans ouvrir la porte à une sorte d’humour abyssal. On se rappelle Lautréamont : ” Quand je lis Shakespeare, j’ai l’impression de déchiqueter la cervelle d’un jaguar. ” »
L’Humanité

« Avec le sanguinaire Titus Andronicus, Lukas Hemleb s’empare de la partition shakespearienne pour refléter notre époque et sa barbarie. Les Romains de Lukas Hemleb portent leurs toges défraichies avec une nonchalance irréelle, ont des allures baroques de créatures felliniennes. Poupées de chiffon perdues au milieu d’un terrible déchaînement de violence, ils apparaissent sur le promontoire abrupt d’un escalier gigantesque, résistent tant bien que mal à des déferlements symphoniques signés Ludwig van Beethoven. S’amusant de la référence à l’opéra tout autant que de celle au péplum, le metteur en scène s’ingénie à brouiller les grilles de lecture pour évoquer, pince-sans-rire, les soubresauts faisandés qui parcourent l’Empire romain comme autant d’échos déformés de notre histoire au présent. (…) D’Anne Alvaro à Roland Bertin, de Pascal Bongard à Jérôme Derre, ce parcours, qui frise le Grand-Guignol, réunit une troupe d’exception. Un bonheur, puisqu’il s’agit de se régaler d’une sanglante épopée qui multiplie les numéros d’acteurs. Sur le fil d’un humour qui épargne les leçons, ne comptez pas sur Lukas Hemleb pour jouer les moralisateurs. Et si d’aventure le redoutable “œil pour œil, dent pour dent” vous semble à nouveau réguler la marche du monde, lui se contente de nous tendre Shakespeare comme un miroir brutal, en laissant à chacun le soin d’y reconnaître le sien. »
Les Inrockuptibles

« Tout ici saisit. Et immédiatement. Tout ici se donne dans l’évidence d’une longue et profonde réflexion sur “la lamentable tragédie de Titus Andronicus”. Ce décor si simple, si beau, si efficace. (…) Tout commentaire amoindrira la puissance du trait de Lukas Hemleb dont, décidément, on n’a pas fini de louer la maîtrise. Louons son audace: la chorégraphie maniériste des premières scènes. La force des images. Fils de Tamara pendus et saignés – deux secondes. La prothèse, main-béquille, pince de vieux homard, de Titus. Il faut oser tout ça. Comme le grimage d’Aaron – Hédi Tilgte de Clermont-Tonnerre – couleur de cendre, de cire, de sang. (…) Demeurent la limpidité, la beauté sévère d’une tragédie. Il y a des scènes jamais vues: Marcus Andronicus et la mouche – jamais traduite –, Lavinia main tranchée de son père dans la bouche – presque jamais représentée, scènes qui renvoient au classicisme des images connues, le pâté de leurs fils qu’en mitron efficace Titus a préparé pour Saturnius et Tamora… Le grandiose et le grotesque, l’horreur les rapproche. Ici, la hauteur du jeu, la puissance sensible et tragique des interprètes donne à la représentation une tenue extraordinaire. Pas de mots suffisants. (…) Terrible histoire, histoire à méditer. Les mains coupées, elles sont du Ruanda aussi, ou de Sierra Leone. »
Le Quotidien du Médecin

« (…) Perfidies, assassinats, viol, mutilation, jusqu’au cannibalisme, la pièce de Shakespeare atteint des sommets d’horreur dans une surenchère gore qui flirte avec le Grand-Guignol. Un fil fragile que Lukas Hemleb déroule avec une parfaite maîtrise. Suspendus au-dessus de l’abîme, les acteurs utilisent l’humour comme une arme contre le désespoir, à l’image du formidable éclat de rire qui saisit Titus dévasté de douleur. Une mise en scène d’une grande finesse servie par une distribution brillante. »
Zurban

« Longue soirée: “Titus Andronicus” dévore quatre heures de la vie d’un spectateur! Mais on nous a rarement rendu aussi claire cette tragédie si touffue, et aussi concrète sa trouble fascination. »
Les Echos

« Dieser Mann, der da gerade siegreich vom Krieg gegen die Goten nach Rom zurückkehrt, ist müde und verlangt nichts mehr außer Ruhe. Einundzwanzig seiner Söhne hat er auf den Schlachtfeldern verloren. Auch das Ansinnen des römischen Volkes, ihn zum neuen Kaiser zu machen, läßt ihn kalt. Nur die Totenfeier für die Söhne will er am Familiengrab noch abhalten gemäß dem alten Ritual. Doch versteht dieser Draufgänger mit der sicheren Kriegerhand sich schlecht auf die Symbole und Bedeutungen, die solche Rituale mit sich bringen – das legt der deutsche Regisseur Lukas Hemleb in seiner Inszenierung des “Titus Andronicus” nahe, die von Bourges aus gegenwärtig durch ganz Frankreich zieht. Aus den abgehackten Händen, Zungen und Köpfen sprudeln gleichsam bei ihm Theaterblut und zugleich allegorische Sinnbilder bis zu dem Augenblick, wo Titus der Gotenkönigin Tamora und nunmehrigen Kaiserin Roms am Ende ihre beiden Söhne in Pastetenform zum Essen verabreicht. Zeichen und Gegenstand der Rache sind dort auf grausige Weise eins geworden. Dieser gut vierzigjährige Regisseur aus Frankfurt, dessen Feydeau-Inszenierung “Le Dindon” an der Comédie Française (F.A.Z. vom 29. November 2002) demnächst auf Arte zu sehen sein wird, ist auf den französischen Bühnen gerade dabei, sich als einer der begabtesten seiner Generation durchzusetzen. In seinem “Titus Andronicus” tappt Roland Bertin, ein Abtrünniger der Comédie Française, als Titelheld zu Beginn auf den Monumentalstufen auf und ab wie eine traurige Melodie, die ihren Schlußakkord noch sucht. Schon sein triumphierendes “Heil dir, Rom!” klingt, als seien die errungenen Siege halb schon vergessen. Denn dunkel klafft unten am Treppenansatz ein schwarzes Loch: das offene Familiengrab, das nach Beisetzung der toten Söhne verlangt. Anders als die auf der Palasttreppe souverän mit den Machtsymbolen protzenden und paradierenden Würdenträger Roms stolpert Titus zwischen schroffer Herrschsucht und peinlicher Unschlüssigkeit hin und her. So kaltherzig er als Menschenopfer die Tötung von Tamoras Erstlingssohn anordnet (“Ertrag es, Fürstin, und verzeih!”), so kleinlaut gibt er wenig später nuschelnd nach, daß auch sein eigener rebellischer Sohn ins Grabloch muß, den er im Affekt gerade erstach. Und mit hohlem Pathos vertut Titus sich auch noch im Votum für die Kaiserwahl, indem er seine Stimme dem zynischen Saturnino statt dessen ehrlicherem Bruder Bassiano, dem Liebhaber seiner Tochter Lavinia, gibt. Ein Dolchstoß führt dann zum nächsten. An dem so in Fluß kommenden Blutrausch drückt sich Hemleb (…) nicht einfach vorbei. Das Handabhacken, mit dem Titus seine beiden gefangenen Söhne freizukaufen sucht (der “Titus” ist schließlich Shakespeares frühestes und grauensattestes Drama), wird im Geschlecht der Andronicus zum wahren Familiensport: Während des Titus Erstlingssohn Lucius und dessen Bruder Marcus hinten noch miteinander ums Beil ringen, hantiert Titus vorn an der Fleischerbank so fanatisch an sich selbst, als gälte es, eine ganze Kompanie von Rächern zu verköstigen. Denn hinter der Blutforderung steht die Kaisergattin, die Gotin Tamora. Als leibhaftige “Rache” spricht sie bald mit den ihr verbleibenden Söhnen im Schutz einer befremdlich übergroßen Mysterienmaske bei Titus vor, um ihn in neue Fallen zu locken. Der Alte hat aber die Kunst der Verstellung inzwischen gelernt und bittet die Tamora-Söhne zum symbolischen Plausch an seine Seite. Bald hängen die beiden an den Fleischerhaken in des Titus Küche. Das alles ist nicht Grand Guignol, sondern die szenische Einlösung des unabweisbaren Gespürs, daß auch Körper und Körperteile Bedeutung tragen und in Teilwahrheiten zerlegt werden können. (…) Dieses Rauschen der Posen und der ausladenden Gestik in nahtlosen Gewändern, das an die Szenerien mittelalterlicher Mysterienspiele erinnert, bricht bei Hemleb in der letzten Szene jäh ab. Die weiten Mysteriengewänder sind dem modernen Anzug und Abendkleid gewichen. Das barocke Allegorisieren ist zu Ende. Titus hat die Lektion der Moderne besser als alle anderen gelernt und backt die Zeichen und die Körper kurzerhand zur Pastete zusammen, die er auf dem Servierwagen der versammelten Gesellschaft kredenzt. (…) Der neue römische Kaiser bereitet an der Festtafel mit den Weinflaschen und halb ausgegessenen Tellern schon die nächste Verwüstung vor. »
Frankfurter Allgemeine Zeitung